09/11/2022
Dossiers cantonaux en lien avec l’agriculture Points forts
En début d’année, le Tribunal cantonal vaudois a pris une décision innovante en application de la Loi sur l’aménagement du territoire (LAT). Alors que cette loi est connue pour être appliquée de manière restrictive par les autorités, la Cour de droit administratif et public a statué de manière favorable aux exploitations agricoles désireuses de diversifier leurs activités.
Tout commence dans une exploitation vaudoise proche de l’arc lémanique, qui pratique, entre autres, l’engraissement de bétail. Pour valoriser les produits issus de l’élevage, le père et son fils procèdent sur place à l’abattage de leurs animaux, à la préparation de la viande, puis à sa vente. La qualité de leurs produits est reconnue et médaillée. Avec le temps, d’autres exploitants de la région leur ont confié leurs bêtes afin de limiter les déplacements, le stress de l’animal et par conséquent augmenter la qualité de la viande. Néanmoins, la majorité des animaux abattus étaient des bêtes élevées sur l'exploitation.
Avec le temps, les normes d’hygiène ont évolué. De plus en plus restrictives, notamment en raison de la règlementation européenne, elles ont contraint les agriculteurs à revoir leurs infrastructures. Dans le cas présent, les locaux étaient devenus trop exigus. Les exploitants ont bien cherché des solutions en conservant la structure actuelle du bâtiment, mais le constat était sans appel: un agrandissement s’imposait. Or, en matière d’aménagement du territoire, les activités accessoires à l’agriculture ne sont en principe pas «conformes» à la zone agricole. Elles peuvent toutefois faire l’objet de dérogations à des conditions très restrictives. Le régime dérogatoire précise que des agrandissements mesurés (environ 100m2) sont possibles. En revanche, l’identité du bâtiment doit être préservée. Dès lors, la forme du toit ou sa hauteur ne peuvent en principe pas être revues. Ce n’est pas sans incidence pour l’activité d’abattage qui nécessite un certain volume sous le toit afin que les bêtes puissent être suspendues à la hauteur réglementaire. Les exploitants étaient ainsi «pris entre le marteau et l’enclume», malgré l’appui de la municipalité. D’un côté, les normes d’hygiène leur imposaient de transformer leur bâtiment et, de l’autre côté, l’application faite de la LAT leur interdisait d’entreprendre les travaux nécessaires. Leur incompréhension était d’autant plus grande que l’Office fédéral de l’agriculture faisait la promotion, sur son site, de la transformation des produits régionaux en prenant l’exemple d’une boucherie exploitée par des gens de la terre.
Les exploitants ont bien essayé de sensibiliser les autorités à ce paradoxe, ainsi qu’à leurs problèmes, mais, au final, seul le droit leur est venu en aide. Par l’intermédiaire de Prométerre et de leur protection juridique, ils ont fait valoir une argumentation nouvelle: «Et si les abattoirs de campagnes étaient considérés conformes à la zone agricole?» Une telle approche permettait de résoudre les difficultés liées au régime dérogatoire de la LAT. Cette proposition était inacceptable pour le Service cantonal compétent qui a répondu que: «les abattoirs et boucheries, tout comme les boulangeries, les moulins, les laiteries et fromageries sont des activités artisanales qui sont traditionnellement situés dans les villes et villages».
Cette prise de position a buté sur l’ouverture d’esprit des juges cantonaux! Après avoir fait l’effort de se rendre sur place, ceux-ci ont suivi les arguments présentés par la protection juridique. Cette dernière avait argué que la Loi sur l'agriculture précisait: «si le produit est agricole, alors l'activité dont il est issu l'est également». Selon les juristes de Prométerre, si les pressoirs à raisin ont leur place hors zone à bâtir, il doit en aller de même pour les abattoirs. Après tout, on arrache le cuir de l’animal comme on épluche un légume (activité jugée conforme à la zone agricole). Le tribunal n’a pas été insensible à ces comparaisons, mais a également pris en compte les exigences des consommateurs en matière de qualité et de proximité, le stress de l’animal et les émissions de gaz générées lors du transport. Tout ceci l’a amené à considérer que les abattoirs de campagne étaient effectivement conformes à la zone agricole, de sorte que le projet litigieux devait être autorisé.
Cette décision est aussi réjouissante qu’innovante, car, jusqu'à preuve du contraire, les tribunaux ne s’étaient pas encore prononcés sur le sujet. Elle réjouit aussi par son progressisme, car elle tient compte des besoins des consommateurs, de l’évolution de l’agriculture et de ses préoccupations croissantes, comme le bien-être animal et la protection de l’environnement.